Comment écrire pour ne rien dire
« N’importe quelle publicité est une bonne publicité » disait le défunt Andy Wharol. L’idée n’est pas nouvelle; on la trouve déjà au 17è siècle chez le très défunt duc de la Rochefoucauld quand il écrit : « On préfère dire du mal de soi que de n’en point parler ». L’important serait de se faire remarquer, à tout prix.
Publicitaires et communicants de tout poil mettent parfois tant d’efforts pour écrire un message original que le résultat est, pour le moins, contreproductif. Pensons à ce communicant élyséen qui a inventé la formule de « l’itinérance mémorielle ». Ainsi harnaché, un certain président ne pouvait que se faire canarder sur le chemin des Dames et autres localités de l’est de la France, allergiques aux traits d’esprit biscornus des technocrates de l’Élysée.
Les entreprises qui veulent faire de la « réclame » pour leurs produits embauchent elles aussi des « marketeurs » pétant d’énergie, qui se feront un devoir de muscler aux maximum les messages publicitaires demandés par le patron. Attention, danger.
J’ai trouvé la publicité reproduite ci-dessus il y a quelques années sur le site d’un fabriquant de douches. L’annonce a depuis longtemps disparue, mais l’entreprise existe toujours car elle fabrique certainement des produits de qualité. Toutefois le « blabla sous la douche » que l’entreprise y sert à ses clients potentiels reste un morceau d’anthologie.
Comme nous sommes tous habitués à vivre sous un déferlement de messages publicitaires, ce sont des textes que nous lisons généralement d’un œil distrait. Il faut au contraire lire avec attention une prose comme celle-ci. Ce sera une promenade dans l’à peu près, le flou, le superlatif gaspillé et l’adjectif inutile. Il serait facile mais bête de se moquer de l’auteur anonyme de ce texte, car chacun de nous est parfois tenté « d’en faire trop », d’ajouter des adjectifs qui affaiblissent le message au lieu de le renforcer, de chercher la phrase choc qui ne repose sur rien et s’effondre sur elle-même en rougissant dès qu’on la regarde avec insistance.
Voici ce texte:
Les douches de la série Urban reflètent parfaitement la nouvelle tendance minimaliste. Selon le modèle, elles combinent une sélection de matériaux raffinés avec le système intégré énergisant MAAX IESMd ¾ et RaimaxMC redessinés, pour un effet ultra design. Dans un cas comme dans l’autre, les douches Urban sont synonymes de pureté, de style et d’innovation. (55 mots, 2 phrases)
Si l’on ne compte pas les articles, les prépositions et les verbes, on trouve une vingtaine de mots qui sont vraiment porteurs d’information (douche, Urban, modèle, effet, etc.) et 8 mots qui sont des qualificatifs (adjectifs ou adverbes), soit presque un sur deux. Un auteur éprouve le besoin de rajouter des adjectifs quand il ne croit pas à la force des mots qu’il utilise. Surqualifier c’est disqualifier.
Laissez aux mots que vous utilisez une chance de produire leur impact. Pensez aux tragédies de Racine (environ 1600 mots différents) : elles sont avares de mots mais ces mots nous frappent. C’est d’ailleurs la solution qu’adopte l’auteur à la fin de son texte en écrivant : « synonymes de pureté, de style et d’innovation ». Pas d’adjectif. Le lecteur sceptique aura du mal à se laisser convaincre qu’une simple douche, qui se résume à un robinet dans une boite, puisse avoir des qualités aussi sophistiquées. Mais pourquoi pas. Après tout l’industrie du cosmétique vend ses shampoings avec des qualificatifs tout aussi extravagants. Ici l’énumération impressionne et, comme on dit, plus c’est gros plus ça passe.
Ce qui peut passer avec des mots un peu magiques comme « pureté » ou « innovation », fonctionne moins bien quand on met en avant un détail peu crédible. Ainsi de « la nouvelle tendance minimaliste », qui contredit le simple bon sens. Si vous « minimalisez » quelque chose d’aussi simple qu’une douche, il va rester quoi?
Le texte décolle vraiment vers des paradis artificiels quand il tente de construire un argument de vente à partir d’une donnée technique qui n’est probablement connue que du fabriquant et de ses concurrents immédiats. Il s’agit de vendre un « système MAAX IESMd ¾ et RaimaxMC » à quelqu’un qui voudrait simplement prendre une douche! Comme c’est aussi attrayant qu’un chat mort au bord de la route, l’auteur essaie de ressusciter la bête à coups de qualificatifs. Et de nous présenter ce système comme étant à la fois « intégré, énergisant et redessiné »…
À ce stade le lecteur ne lit plus, il pense à fuir. Et il prend vraiment ses jambes à son cou quand il se voit menacé, à la fin de la phrase, par « l’effet ultra design » de ce canon à eau. Pour un peu, il disparaissait avec l’eau de la douche, aspiré par la vacuité du texte.
PS — L’effet de cette publicité n’est pas entièrement négatif. Pour l’avoir présenté dans quelques séminaires, j’ai pu constater que la photo du bel homme musclé sous la douche avait beaucoup de succès auprès des dames. Le visuel a toujours raison.