Economie mondiale: décroissance de la croissance
Les FMI, Banque Mondiale et OCDE de ce monde publient régulièrement des notes prospectives sur l’avenir de l’économie mondiale, et les corrige à la baisse quelque temps plus tard. La lecture de leurs derniers rapports montre que, sous un optimisme de commande, elles partagent un même malaise. Il me semble que la plupart des causes de la détérioration de l’économie sont connues; mais il y en a certaines, parmi les plus importantes, qu’institutions et gouvernements ne veulent pas admettre. Ce qui n’aide pas à trouver la bonne solution.
Le monde s’installe dans une croissance faible, qui pourrait l’être encore davantage si certains risques majeurs — comme ceux qui sont liés à la crise Grèce-Europe ou au ralentissement de l’économie chinoise — se concrétisent. Les grands organismes internationaux, les principaux cabinets conseils (McKinsey, Deloitte, AT Kearney, D&B) ou les grandes banques, s’accordent sur des prévisions de croissance pour les 5 prochaines années de l’ordre de 2% pour les économies avancées et de 4% pour les économies émergentes.
Leurs projections peuvent varier autour d’1% en plus ou en moins, ce qui, compte tenu du caractère aléatoire des prévisions à l’échelle mondiale (il est déjà si difficile de prévoir la croissance d’un seul pays un an à l’avance) n’a pas grande importance. La dernière note de Perspectives économiques intermédiaires publiée le 16 septembre par l’OCDE, a d’ailleurs comme sous-titre « Puzzles and uncertainties »…
La lecture de ces rapports montre que le discours des grandes institutions comme l’OCDE ou le FMI est particulièrement embarrassé. Leurs experts prévoient tous de la croissance, mais ils veillent à se protéger en faisant suivre chaque prévision optimiste d’une série de considérations pessimistes.
Les causes profondes du ralentissement
Plusieurs de ces analyses soulignent que certaines causes du ralentissement de la croissance, qui existaient avant la crise financière de 2007–2008, sont toujours là et restent sans solution. Leurs auteurs s’interrogent notamment sur la baisse de la croissance potentielle observée dans les pays avancés principalement.
À côté de sa démographie, qui augmente ou réduit la population active, la création de richesse d’un pays repose sur la PGF, la productivité globale des facteurs. Comme le dit Patrick Artus, dans Croissance zéro, comment éviter le chaos (2015), la PGF « est la partie de la croissance de la production qui n’est expliquée ni par la croissance de l’emploi, ni par celle du stock du capital productif. Elle représente la capacité d’un pays à créer des richesses autrement qu’en accumulant des facteurs de production (capital et travail), en les combinant de la manière la plus efficace possible. Elle est le reflet du progrès technique (l’effort d’innovation, d’amélioration de la qualité des produits et des processus de production) et de l’amélioration du capital humain (l’effort d’éducation)».
Or la PGF stagne ou recule désormais dans de nombreux pays de la planète. Si on compare la période 1990–1999 et celle qui va de 2000 à 2013, on constate que la PGF a été divisée par deux aux États-Unis et par trois en Allemagne. Sans entrer dans le détail, quatre phénomènes sont à l’œuvre dans cette baisse: la perte d’efficacité de la R&D, l’augmentation de l’intensité capitalistique, la réduction du secteur de l’économie où les gains de productivité sont encore assez élevés (industrie manufacturière), le manque de qualification de la population active.
Les conséquences de la crise financière
Par ailleurs, ces mêmes analystes relèvent que de nombreux pays souffrent encore des conséquences de la crise financière de 2007–2008: faiblesse de la consommation, chômage encore très élevé dans plusieurs pays, investissements productifs insuffisants, désendettement des États, des entreprises et des ménages qui n’est pas encore achevé.
Sur cette sortie de crise qui n’en finit plus (le livre de Rogoff et Reihnart, This Time is Different, aura au moins servi à populariser le concept selon lequel la reprise après une crise financière est toujours plus longue que pour d’autres types de crise, car c’est un argument que l’on retrouve partout) nos experts sont mutiques. Leur présentation du problème reste à un niveau superficiel, qui fait penser au médecin du Bourgeois gentilhomme de Molière expliquant à Monsieur Jourdain que si sa fille est muette c’est qu’elle ne parle pas…
Des recettes trop orthodoxes
Le fait que les recettes classiques n’aient pas obtenu de bons résultats après huit ans d’effort gêne assez nettement les auteurs de ces rapports. Il en va de même pour les résultats des mesures non conventionnelles, comme les opérationsquantitative easing, qui sont présentées comme « ayant apporté ce qu’elles pouvaient apporter » au redressement de l’économie… Les auteurs reconnaissent aussi que la chute des prix du pétrole n’a pas non plus eu l’effet attendu sur la croissance.
Pourtant, les recommandations du FMI, comme celles de l’Eurogroupe ou de l’OCDE d’ailleurs, demeurent d’un classicisme absolu. Rien semble-t-il ne peut entrainer nos experts à remettre en cause ce qui est considéré comme « économiquement correct » par les économistes orthodoxes. Soit, pour faire court, les 10 points du Consensus de Washington, que l’on peut en fait réduire à quatre: libéralisation, privatisation, ouverture extérieure et bonne gouvernance. On notera au passage que le Consensus de Washington a été conçu en 1989, bien après l’ordolibéralisme que le Dr Wolfgang Schäuble et l’Eurogroupe imposent à l’Europe, lequel est encore plus rigide, alors qu’il a été élaboré dans les années 1930 par des universitaires de Fribourg dans le contexte très particulier de l’Allemagne de l’époque. Pauvres européens. Sans être abusivement pour le changement, on pourrait suggérer que le catéchisme économique en vigueur gagnerait à prendre davantage en compte les réalités nouvelles de l’économie internationale.
Ainsi, quand il s’agit de fournir des conseils pour soutenir la croissance, le rapport du FMI d’Avril 2015 (Uneven Growth : Short-and Long-Term Factors)donne l’exemple d’un discours aussi général que conventionnel. Je vous le laisse en anglais, pour que vous puissiez en apprécier toute la saveur : « In advanced economies, continued demand support is needed to offset the effects of protracted weak demand on investment and capital growth as well as on structural unemployment. In addition, policies and reforms that can increase supply should be adopted, such as product market reforms and higher spending on research and development, education, infrastructure, and policies to improve labor supply incentives. In emerging market economies, higher infrastructure spending is needed to remove critical bottlenecks, and structural reforms must be directed at business conditions, product markets, and education”. Nous avons déjà lu cela cent fois.
Erreur sur le diagnostic ?
Pour ces experts internationaux l’économie n’attend que de pouvoir rentrer dans son cadre pour repartir de plus belle. Cela correspond à l’idée que si un pays gère bien ses finances et que ses citoyens retrouvent le désir de consommer, les« esprits animaux » (Keynes) d’un côté et « la main invisible du marché »(Smith) de l’autre feront en sorte que la croissance reprendra, indéfiniment semble-t-il, même si elle doit connaître des crises passagères, liées aux cycles ou à des excès ponctuels qui peuvent être corrigés.
Malheureusement, il y a déjà des années que la réalité ne correspond plus aux schémas théoriques des économistes orthodoxes. Les faits sont têtus et ne suivent pas les modèles, les dérives ne sont pas corrigées. Huit ans après la crise de 2007 il faudrait commencer à prendre en compte les causes profondes qui peuvent contribuer à expliquer le marasme persistant.
La stagnation du revenu des classes moyennes et modestes depuis plus de vingt ans en est une. Maintenant que le crédit facile qui avait incité à la titrisation des dettes n’est plus à l’ordre du jour, la consommation a perdu sa tente à oxygène. Le capitalisme ambiant voit dans la consommation des ménages le grand moteur de la croissance; il est donc impératif, nous dit-on, que la consommation reprenne. Mais à condition que les profits à deux chiffres des entreprises ne soient pas touchés et que les salaires stagnent, ou, de préférence, baissent, car le rôle qui leur est assigné est d’être la variable d’ajustement aux pressions de la concurrence mondiale. Cela s’appelle vouloir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière.
De la même façon, il faudrait se demander si l’économie financière ne constitue pas un frein à la croissance globale de l’économie. Depuis la dérèglementation financière des années 80, rien n’a pu contrarier l’essor vertigineux de l’économie casino, qui offre des gains rapides et sans proportion avec ce que peut donner l’économie traditionnelle. Le volume gigantesque de cette économie spéculative attire des capitaux qui se seraient dirigés naguère vers l’économie productive. Quelques chiffres permettent de se faire une idée des montants en question.
En se basant sur les états financiers des banques et les chiffres de l’OCDE, l’économiste François Morin (L’hydre mondiale : l’oligopole bancaire. Lux Éditeur, Montréal, 2015) a analysé la situation des banques systémiques, qui sont bien la partie la plus visible de l’économie financière. Il observe que BNP Paribas et surtout Barclays génèrent des totaux de bilan supérieurs à la dette publique de leur pays. Prenant l’exemple des produits financiers dérivés, qui n’existaient pratiquement pas avant les années 1970, il fait remarquer que « leur encours notionnel est passé de 500 milliards de dollars à 28 733 milliards entre 1986 et 1996, pour atteindre, en 2013, plus de 710 000 milliards ».
On peut comprendre l’attractivité de cet univers pour les investisseurs potentiels. Pourquoi iraient-ils mettre leur argent dans des entreprises industrielles dont les résultats financiers sont inférieurs et l’activité contrainte par une règlementation touffue, exposée en outre à des problèmes sociaux imprévisibles; autant de facteurs qui ne touchent guère l’économie spéculative? La dérive de l’économie globale au profit de l’économie financière est une question qui n’existe pas pour les gouvernements et les grandes institutions. Tant pis si un diagnostic erroné ou incomplet entraine des politiques économiques inefficaces. La majorité de nos contemporains ignorent probablement cette expression qui nous vient du XVIIIe siècle : «appliquer un cautère sur une jambe de bois ». Les mesures prises par ceux qui nous gouvernent en sont la parfaite illustration.
Géopolitique de l’Économie
De même que l’Économie n’est pas toujours ce que l’on croit, elle est aussi beaucoup plus influencée par le Politique que les tenants de la « science économique » ne veulent bien l’admettre.
Le ralentissement de la croissance chinoise pèse et continuera de peser sur l’économie mondiale. L’éclatement des différentes « bulles » (bourse, immobilier, surproductions) n’est probablement pas de nature à « casser la machine ». On est passé de 10% de croissance à 7%, pour « tomber » à 4% environ, ce qui n’est déjà pas si mal. Mais la transition d’une économie d’investissements (industrie, infrastructures, immobilier) vers une économie de services et de consommation ne pourra pas se faire sans à-coups, parfois violents.
En imposant à la Grèce une médecine telle que le patient n’a pas d’autre espoir que de mourir guéri, l’Eurogroupe et l’Allemagne fragilisent un peu plus une Europe déjà malade d’une monnaie unique mal conçue. Une aggravation de la situation au sein de l’Union Européenne freinerait encore la croissance mondiale.
Les économies émergentes demeurent en butte à des problèmes de gouvernance qui influent sur leurs performances économiques. Elles sont aussi prises dans la spirale descendante du prix des matières premières et coincées entre la baisse de leurs exportations vers la Chine et la fuite des IDE (Investissements Directs Étrangers), repartis vers les États-Unis dans l’espoir d’un prochain relèvement des taux. On a cru un moment que leur croissance s’était « découplée » de celle des économies avancées. Ce n’est pas le cas, ce qui veut dire que leur décroissance a un impact sur celle des grands pays développés. Parmi les raisons qui ont poussé la FED à ne pas relever ses taux la semaine dernière il y a la prise en compte de l’effet boomerang que pourrait avoir un relèvement des taux sur les économies émergentes.
La Russie est plus un risque géopolitique qu’économique, mais la fuite en avant de Poutine, aggravée par la pression constante de l’OTAN pour soustraire le plus grand nombre possible de pays d’Europe centrale à l’influence soviétique, risque de ralentir la croissance dans cette partie du monde.
Le Japon monétarise sa dette et se maintient en première ligne dans la guerre des monnaies qui commence. Si l’usage de la planche à billets était un sport reconnu, le Japon serait champion du monde. Pourtant, aucun expédient, depuis vingt ans, n’est parvenu à le sortir de l’ornière. La troisième économie du monde se maintient tant bien que mal, mais n’est plus un moteur de la croissance à l’échelle mondiale.
La Chine traversant une crise d’adaptation dont le terme est incertain, les États-Unis se retrouvent par défaut dans le rôle de moteur de l’économie mondiale, mais avec une croissance qui ne dépassera pas 2,4% en 2015, selon le l’OCDE. Il n’y a donc pas d’excès de vitesse à craindre. N’oublions pas aussi que ce paradis de la Finance nous a plongé en 2007 dans une crise dont nous avons de la peine à sortir. Et il n’y a que les banques et les responsables des hedge funds pour considérer que la Finance est désormais régulée. Or les États-Unis ont une capitalisation boursière de 19,8 trillions de dollars, représentant 52% de la capitalisation boursière mondiale. Le moteur américain reste donc une variante assez particulière du moteur à explosion.