Jouez avec les mots, il en restera toujours quelque chose

Alain-Marie Carron
6 min readJan 15, 2019

> Comment enrichir son vocabulaire et respecter la grammaire

Les Français sont « gents de paroles et gens de causeries » comme le chante le québécois Gilles Vigneault. Ils aiment jouer avec les mots, à demi-mots ou à mots et demie. Ils mordent dans le camembert des calambours, soufflent le vent des contrepèteries, domptent le coq-à-l’âne. Faire de l’esprit est un sport national, qui comporte des risques. L’audace en ce domaine est parfois payante — Chirac employant le mot « abracadabrantesque » au cours d’un entretien télévisé — mais elle peut être jugée ridicule, comme Ségolène Royal parlant du sentiment de « bravitude » que lui inspire une visite à la Grande Muraille de Chine. Dans le même ordre d’idées, souvenons-nous de cet échange entre Louis XVI et Rivarol :

Louis XVI — On raconte que vous faites des mots d’esprit sur tout. Faites-en un à mon sujet.

Rivarol — O Sire, le roi n’est pas un sujet.

On voit qu’il s’en est fallu de peu que le second ne perdit la tête avant le premier.

Jouer avec les mots est donc une passion légitime et un délassement royal. Mais il se trouve que les Français sont tout aussi amoureux des règlements que de l’irrespect et de la fantaisie. Le bonheur des mots finit souvent dans le cauchemar de l’orthographe.

Les Français ont en eux le goût de l’ordre romain, de la loi et des principes. Depuis le XVIe siècle, leurs grammairiens s’efforcent de mettre de l’ordre et de fixer une langue qui emprunte au Grec et au Latin, au Picard et au Provençal et qui surtout, comme toute langue, évolue sans cesse. Si bien que le grammairien dit ce qui doit être, quand l’usage défait la règle pour dire ce qui est vivant et au goût du jour. Les effets de mode existent aussi en matière de vocabulaire, comme le notait déjà Montaigne : « La mode pour le Français est une manie qui lui tourneboule l’entendement et il n’est si fin entre nous qui ne se laisse embabouiner par elle » *

Les gendarmes de la langue

Comme les gendarmes courant derrière les voleurs, les grammairiens ont toujours un temps de retard sur la langue comme elle va. Ils marquent au crayon rouge nos erreurs, nos oublis, les libertés que nous prenons avec la grammaire et l’orthographe. Sans résultat. Plus personne, ou presque, n’écrit un français impeccable. Cela supposerait de bien connaître la grammaire, ce qui est devenu à peu près impossible depuis qu’elle a été confiée à des linguistes et aux cuistres qui les suivent. Ces modernes Diafoirus ont dynamité la grammaire dite « classique » qui permettaient naguère à des enfants détenteurs du certificat d’étude d’écrire un français clair et sans faute. Aujourd’hui, nombre de copies de licence ou de maîtrise sont à peine lisibles.

Je vois à cela deux raisons parmi d’autres. Quand il est entendu que tout le monde doit avoir le bac et plus, c’est le règne du grand n’importe quoi. « Diplômez-les tous, Dieu ou un autre reconnaîtra les siens » semble dire le Ministère de l’Éducation. D’autre part, bien des professeurs paraissent incapables d’enseigner une grammaire qu’ils connaissent mal. Du moins ont-ils l’excuse que celle-ci est devenue bien trop « scientifique » pour être maîtrisée par des cerveaux normalement constitués.

Pourtant nous voulons tous enrichir notre vocabulaire et écrire les mots sans faute, car nous avons assez vécu pour savoir que dans un texte comme dans la vie les imperfections sautent aux yeux et restent dans la mémoire. Dès lors, quelle solution pour nous qui avons, pour une raison ou une autre, manqué les bases de la grammaire et qui, aujourd’hui, manquons de temps pour l’étudier?

Réponse : promenez-vous. Rendez visite aux mots à chaque occasion, prenez-les comme on ramasse un coquillage sur la plage pour l’examiner. Plutôt que de fuir le mot « grammaire » comme la lèpre, retenez chaque bribe de règle qui vous passe sous les yeux. Écrire est un état d’esprit et un état de curiosité. Répétez l’exercice au gré des lectures, vous écrirez mieux.

Ci- dessous, quelques cocasseries de la langue française. Parmi elles, des choses que nous savons, d’autres que nous ignorions. Toutes bonnes à retenir pour qui veut augmenter son vocabulaire et faire moins de fautes. Lisez ce blogue régulièrement, il y en aura d’autres.

Les surprises de l’orthographe

- Persifler ne prend qu’un « f », mais siffler en prend deux.

- Hutte a deux « t », mais cahute un seul, ainsi que gargote, paillote et belote.

- Bien écrire traditionnel avec deux « n », mais traditionaliste avec un seul; millionième avec un « n », et millionnaire avec deux.

- Patronat donne patronner, mais déshonneur, déshonorer. Souffler demande deux “f”, mais boursoufler se contente d’un seul.

- Aromate n’a pas d’accent circonflexe, alors qu’arôme en prend un. Drôle en a un, mais pas drolatique. Grâce en a un, mais pas gracier.

- Fantôme s’habille d’un accent circonflexe, mais fantomatique n’en a pas.

Éplucher ou peler

- Peler et éplucher ne sont pas synonymes. Ainsi on ne pleure pas en épluchant les oignons mais en les pelant.

- On pèle une banane, mais on épluche une pomme de terre.

Il ne faudrait pas en conclure hâtivement que l’on pèlerait les fruits alors que l’on éplucherait les légumes.

- Car on pèle les poires et les pommes, mais pourtant on épluche les marrons qui sont des fruits.

- Et l’on épluche la salade, que l’on « fatigue » — c’est à dire qu’on la mélange — après avoir versé la vinaigrette dessus.

3 pièges à éviter, le dernier compte double

- Ne pas confondre acception et acceptation

L’acceptation désigne un consentement, quand acception désigne le sens d’un mot. Vous pouvez dire de votre ennemi : « C’est un salaud dans toute l’acception du terme ».

- Ne dite pas aéropage, mais aréopage

Si vous voulez faire dans le style pompeux, vous parlerez d’un « aréopage d’experts ». Vous direz ainsi : « Bercy a envoyé sur le terrain un aréopage d’experts ». Cela peut se dire, même si ce n’est pas très réaliste, sachant que les fonctionnaires de Bercy évitent en général de se confronter au réel. Aréopage vient du grec, inspiré par le nom du lieu où se tenait le tribunal d’Athènes. Aéropage vient de nulle part car ce mot n’existe pas.

- Attention à l’orthographe de dilemme et au sens d’alternative

Dilemme ne s’écrit pas comme indemne et ne se prononce pas comme lui. Dilemme décrit une hésitation entre deux possibilités. Comme dans : « J’hésite entre mettre de la confiture et du beurre sur ma tartine. »

Alternative désigne un choix à faire entre deux possibilités et pas plus. Comme dans : « Le gouvernement est placé devant une alternative : baisser les impôts ou augmenter les revenus. » De plus en plus, à la radio, à la télévision ou dans les journaux, on peut lire ou entendre le mot alternative utilisé pour désigner une solution de rechange, de remplacement. Ainsi : « Comme la SNCF était en grève, les usagers n’ont pas eu d’autre alternative que de marcher à pieds. » Si j’avais mauvais esprit je dirais que cette phrase contient également deux pléonasmes : « marcher à pieds » et « la SNCF en grève ».

Les mots masculins en « e »

- Le plus viril des pygmées s’écrira toujours avec un « e » final; mais le « gynécée », qui est un lieu réservé aux femmes, est également du masculin.

- D’autres mots masculins s’écrivent avec un « e » à la fin : lycée, apogée, périnée, macchabée, trophée, colisée.

Les mots épicènes contrarient les couples

- Le chat convole avec une chatte, le chien avec une chienne, le canard avec une cane.

- Mais la langue française ne connaît qu’un genre — féminin — pour la grenouille, la pie, la mouette, la mite, l’autruche, et qu’un genre — masculin — pour le blaireau, l’asticot, le lézard, l’éléphant, le crabe, le bar, le putois ou le serpent.

- Les histoires conjugales de ces différentes espèces sont assez mal connues et, à vrai dire, on ne souhaite pas en savoir davantage. L’escargot a résolu le problème, puisqu’il est hermaphrodite.

Des rencontres improbables

Les expressions populaires sont un gisement inépuisable de rapprochements inattendus. Nul ne saura jamais pourquoi on peut dire de quelqu’un qu’il a un vélo dans la tête, l’estomac dans les talons, des fourmis dans les jambes. Comment peut-on verser dans une tasse un soupçon de lait, prendre une vessie pour une lanterne, donner de la confiture aux cochons, avoir un chat dans la gorge, un poil dans la main, une puce à l’oreille et malgré tout payer rubis sur l’ongle?

· Cité par Jean Tell, Les grammairiens français. 1874. Page 202.

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Alain-Marie Carron

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