Le permis d’écrire : le code et la conduite

Alain-Marie Carron
4 min readNov 6, 2018

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J’ai obtenu mon permis de conduire l’année de mes dix-huit ans. Sept leçons, pas de cours de code. Il fallait l’appendre seul. Cela se passait en des temps très anciens, à la campagne. Aujourd’hui il faut payer une somme rondelette pour une vingtaine de leçons de conduite, prendre des cours de code sur Internet, etc… Ce doit être plus difficile que le baccalauréat.

En 2018, peut-on décrocher son permis d’écrire en sept leçons ?

Je soutiens que des adultes peuvent apprendre leur « code » en cinq ou six leçons. Il s’agit de comprendre les grands principes de la communication écrite (plusieurs d’entre eux ne sont pas enseignés à l’école) et de développer une sensibilité qui permette de « sentir » la différence entre le texte ou la phrase qui « fonctionne » et les autres.

J’ai observé au cours des formations que j’ai données que les participants repèrent rapidement les bonnes formules et les mauvaises. Deux ou trois exemples leur suffisent pour qu’ils développent une lecture active — c’est à dire critique — des textes qu’on leur présente. La lecture routinière et irréfléchie fait place à un jeu du type « où est passé Charlie ? ». Par analogie avec les exemples qu’ils ont retenus, les participants débusquent les éléments qui font qu’une phrase est mal construite ou même incohérente quand on l’observe de près. Ces phrases-là sont nombreuses dans la communication d’entreprise, qu’elle soit à usage interne ou bien orientée vers l’extérieur.

À partir de là, un phénomène de renforcement positif opère spontanément. En économie on dit que « la mauvaise monnaie chasse la bonne », en ce sens que l’agent préfèrera thésauriser la bonne monnaie qu’il a en sa possession et faire circuler la mauvaise. En matière d’écriture, c’est tout l’inverse. La belle phrase, ou la bonne formule, dès lors qu’on est capable de la reconnaître, marque notre esprit, lequel adopte très vite, face aux textes qu’on lui présente, l’intransigeance des connaisseurs. Quelqu’un qui manipule depuis des années sans y penser un « langue de bureau » abâtardie sera le premier à s’exclamer « mais on ne peut pas écrire comme ça ! » devant une erreur de préposition ou une phrase si mal faite qu’elle dit le contraire de ce qu’elle voudrait dire.

Les puristes et les grands cerveaux vont bien sûr regretter que cette approche empirique, basée sur un comportement mimétique (ce que le philosophe René Girard appelait le « mimétisme d’appropriation »), laissent les apprentis dans l’ignorance des règles et des normes et de leur logique interne.Heureusement, écrire dans un contexte professionnel n’obéit pas aux mêmes exigences que celles qui président aux travaux de l’Académie française. On peut écrire correctement avec un bagage grammatical et syntaxique modeste. Avec un peu de code et beaucoup de conduite.

Pour les mauvais élèves comme moi qui, à l’école, ont parcouru leur grammaire d’un coude distrait (celui sur lequel on s’endort en classe), ou pour les jeunes cadres promis à un brillant avenir qui n’ont pas le temps de se replonger dans Grevisse, Bescherelle et consorts, la pratique est le chemin des bienheureux. Devant une difficulté, elle est une bouée de sauvetage; notre mémoire nous rappelle à ce moment-là telle ou telle formule qui nous a plu et que nous pourrions peut-être réemployer. Elle est une salle de gym et de musculation, un entraînement qui renforce notre souffle et notre endurance. Vous souffriez hier d’avoir à écrire deux pages de textes; avec de la pratique vous en écrirez demain dix fois plus sans finir, épuisé, aux urgences.

L’effet bénéfique de la pratique est cumulatif. Sans vraiment y penser, vous développerez de bonnes habitudes et vous élargirez votre répertoire de bonnes solutions. Vous avez peut-être lu les livres du journaliste et sociologue américain Malcom Gladwell. Dans Outliers il développe à travers une série d’exemples (lisez-le, c’est un extraordinaire conteur) ce qu’il appelle le « principe des 10 000 heures », soit le nombre d’heures de pratique qu’il faut à quelqu’un (un joueur de hockey canadien ou un petit tailleur juif de Varsovie) pour maîtriser son métier.

Le chiffre de 10 000 est évidemment destiné à frapper l’imagination; il n’y a pas d’activité humaine qui demande autant de répétition, sinon il n’y aurait pas de pilotes d’avions. Dans le cas de l’écriture professionnelle les « heures de vol » s’accumulent sans y penser, puisqu’il vous faut écrire chaque jour. De ce point de vue, la vie de bureau est une mine d’or. Elle vous offre quotidiennement des bons et des mauvais exemples, et vous impose des exercices quotidiens. À vous d’en profiter.

Cela dit, mieux vaut avoir un coach pour progresser plus vite. Je recommande à ceux qui suivent une formation en écriture de conserver, s’ils le peuvent, un contact régulier avec leur formateur. Chacun de nous apprend à une vitesse différente. Il peut se passer des mois avant que nous découvrions par nous-même les erreurs que nous commettons fréquemment. D’où l’intérêt d’une « piqûre de rappel » avec son coach tous les deux ou trois mois, en travaillant par exemple sur un projet en cours.

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