Les mots nouveaux du gloubi-boulga

Alain-Marie Carron
5 min readMay 16, 2019

Le gloubi-boulga est un gâteau réputé immangeable (certains estomacs ne tolèrent pas le mélange confiture de fraises et chocolat râpé, associé à une saucisse de Toulouse crue nappée de moutarde forte) qu’affectionnait le dinosaure Casimir dans l’émission télévisée L’île aux enfants.

Je vois de plus en plus ce mot utilisé dans les médias, pour désigner la langue de bois de nos hommes politiques ou les efforts mal inspirés de ceux qui veulent montrer qu’ils maitrisent les mots à la mode. À la fois rigolo et flou, gloubi-boulga me paraît l’étiquette qui convient pour englober les trouvailles que la langue française nous offre chaque année.

Jouer avec les mots nouveaux, inattendus, imagés, un peu canailles souvent, est un plaisir bien français, et les dictionnaires ne s’y trompent pas, qui présentent au printemps leurs nouvelles collections.

Le Petit Larousse illustré a lancé en mai sa « collection 2020 » : 150 mots et une centaine d’expressions font leur entrée dans ce dictionnaire. Un rendez-vous gourmand, qui coïncide avec l’arrivée des asperges sur les marchés, en attendant la saison des coquilles Saint-Jacques.

On découvre ainsi qu’il est désormais admis d’utiliser le mot « diésélisation », quand il s’agit d’équiper un véhicule d’un moteur diesel. « Locavorisme » est encore plus laid, bien qu’il vise une pratique sympathique et recommandable : consommer des produits locaux. Les « antispécistes » ont désormais droit de cité, eux qui combattent l’exploitation animale, mais ne savent plus faire la différence entre un humain et un poulet.

« Divulgâcher », qui nous vient du Québec, est plus amusant. Dans le sens de divulguer prématurément l’élément clé d’une intrigue, il remplace le verbe « spoiler », qui vient de l’anglais.

« Adulescence » est un autre mot-valise. Il vise les personnes ayant un comportement adolescent jusque trés tard dans leur âge adulte. Sous ses airs bénins, je trouve que ce mot recouvre une réalité sociologique assez triste. On croise de plus en plus souvent de ces êtres « hors sol », fille ou garçon, qui ont poussé dans l’atmosphère artificielle des jeux vidéo, du téléphone portable, des diplômes bradés qui font que n’importe quel quidam peut se vanter de détenir plusieurs masters sans avoir fait d’études solides. Ils n’ont à peu près pas d’expérience de la réalité ordinaire, celle qui contraint et limite et qui ne peut être surmontée qu’au prix d’efforts pénibles. L’adulescent peut être charmant, mais son entourage et sa famille le maintiennent dans sa bulle de peur qu’il ne se brise.

Avec « slasheur », on ne cherche plus à construire un mot français pour éviter l’anglicisme, on francise le mot « slash », qui désigne la barre oblique que l’on trouve sur les claviers de nos ordinateurs. Une personne qui poursuit en parallèle plusieurs activités professionnelles pourra être acteur/(slash)/traducteur/auteur. Un intermittent du revenu, en quelque sorte.

Passons sur les antipathiques « suprémacistes » et « fachospère », comme sur le sombre « darknet », ces témoins des côtés obscurs de notre époque.

Je ne vois pas venir dans cette édition 2020 de ces gouleyantes trouvailles du langage familier, qui sont pourtant souvent pleines d’humour et d’ironie, voire passablement effrontées. Dans des « collections » plus anciennes de mots nouveaux — en 2016 et 2017 — j’avais découvert « mémériser », pour donner à quelqu’un une allure de « mémère » ; « zénifiant », pour calmant ; « glamouriser » ou « rétropédaler », qui se comprennent sans peine. Il y avait aussi l’expression « avoir le melon », pour être prétentieux, ce que l’on appelait naguère « avoir la grosse tête » ; ou bien « tendu come un string », pour quelqu’un qui est extrêmement nerveux, ou « à cran », si vous préférez. Mais mon expression favorite, dans la cuvée 2017, a été « maquillée comme un camion », ce qui désigne une femme lourdement fardée. On pense à ces poids lourds surchargés de chromes ou bien à un véhicule maquillé par des voleurs jusqu’à être méconnaissable, afin de mieux pouvoir lui faire quitter la France incognito.

Des années avec et des années sans

Que reste-t-il de cette écume des mots au bout de quelques années ? Pas grand-chose. Les modes passent aussi rapidement qu’elles viennent. L’expression qui était tellement tendance en 2020 sera peut-être oubliée en 2023. Les années pauvres aux mots vite fanés succèdent à des années dont les trouvailles sont à la fois plus prolifiques et plus durables. Le dictionnaire Le Robert recensait en 2018 les mots qui avaient fait leur entrée dans le dictionnaire 40 ans avant, en 1968. Il les présentait ainsi (les mots apparus en 1968 sont en italiques) :

« Le ras-le-bol du métro-boulot-dodo, la conscientisation politique de la jeunesse, son aversion pour le facho, le faf, s’exprimèrent, faisant fi de la télésurveillance. Le hasch, la marie-jeanne, le speed, pour s’éclater, quel pied, mais gare à̀ l’overdose ! Pas de culpabilisation en cas de déviance, c’est anxiogène, pensaient les junkies, les marginaux, les lève-tard. La majorité́ silencieuse, les nouveaux pauvres payés au SMIC s’en remirent aux partenaires sociaux et aux décideurs, cadres performants issus de formations élitistes. Les juillettistes, pressés de déconnecter, se réjouirent de partir pour un safari-photo, non sans craindre un acte de piraterie aérienne. Tandis que les Shadocks pompaient, quel futurologue aurait pu prédire le turbotrain, le transpondeur, la téléinformatique ? »

Quid des emprunts à l’anglais, qui me semblent se multiplier plus que jamais, phénomène aggravé depuis l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron, imprégné du lexique managérial des start-ups?

Bernard Cerquiglini, qui a comptabilisé au CNRS pendant 50 ans les anglicismes du journal Le Monde, affirme dans Le Point que le nombre des anglicismes n’a pas augmenté́. Ils ont simplement évolué́, certains disparaissant pour laisser la place à̀ d’autres. Il cite d’ailleurs une phrase de Proust, dans À la recherche du temps perdu : « Swann était très smart ce soir-là̀ dans sa dinner-jacket » … D’un siècle à l’autre l’anglomanie contamine les meilleures plumes.

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Alain-Marie Carron

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