Les mystères de Zombie Boy, vus par Paul Féval

Alain-Marie Carron
4 min readDec 26, 2014

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Rick Genest a connu ce qu’Andy Warhol prophétisait à ses contemporains dans les années 60 puis à nouveau en 1979: “à l’avenir tout le monde sera célèbre pendant quinze minutes”.

Celui qui lavait les pare-brises des voitures rue Sainte Catherine Est à Montréal s’est retrouvé sur les catwalks de Thierry Mugler… chat de gouttière parmi des hirondelles de luxe.

Les journaux se sont interrogés — sans trouver la réponse semble-t-il — sur ce qui se passait dans la tête de Zombie Boy, qui le faisait courir chez son tatoueur dès qu’il avait un peu d’argent. L’homme, apparemment plutôt sympathique, conserve son mystère. Peut-être aussi n’y a-t-il rien à trouver, que l’apparence que l’on se donne pour être.

Rapport ambigu de l’homme à son costume, relation incertaine entre ce que l’on exprime et qui nous construit, entre ce que nous sommes et qui transparaît dans notre vêtement comme dans notre langage. Les autres ont là dessus des opinions à notre sujet; et nous aussi. Et finalement personne ne sait rien de certain.

On avait autrefois le vêtement de sa condition. On avait — et on a toujours — la pensée de sa condition. Le philosophe Alain dit quelque part que “la pensée d’un homme en place c’est son traitement”. Ce qui est méchant mais souvent vérifié. À mesure que l’on s’élève dans l’échelle sociale on change ses costumes, mais notre mode pensée ne s’élève pas aussi facilement.

C’est la raison pour laquelle on distingue sans difficulté les “parvenus” et les “nouveaux riches”. Nul besoin d’être en haut de l’échelle social pour le voir. Dans la vieille Europe où les différences de classes sont trés affirmées le peuple a l’esprit d’observation aussi développé que le sens critique. Il perçoit facilement la roture sous le masque de la prétention sociale. Comme le dit un vieux proverbe marseillais : “la cague sent toujours le hareng”. La cague étant ici la claie de bois sur laquelle le pêcheur pose ses poissons pour les porter à la criée, et non pas le petit navire hollandais construit pour voguer sur les canaux; ce qui est la définition qu’en donne les dictionnaires.

En Amérique du Nord, où la structuration sociale s’opère par l’argent, la pyramide est moins complexe. Si elle compte autant d’étages qu’il y a de zéros sur les comptes de banque, les signes extérieurs en sont plus rares. Steve Jobs se présente en jeans et col roulé. Quand un multimillionnaire passe de sa gated community à son île des Bahamas en empruntant son jet privé le vendeur de hot dog n’est pas convié au spectacle.

Pour ce qui est du langage et de la pensée, ils sont ici couramment à la traîne de la fortune. Ce que Keynes appelait “nos esprits animaux” — même si je détourne sa pensée parce que le mot “animal” a juste la bonne connotation — sert à faire fortune plus facilement que la subtillté ou le bagage culturel. Sur un continent où l’héritage culturel est mince et l’avidité plutôt encouragée, plus d’un homme riche garde sa nature de maquignon.

Ainsi change-t-on dans le cours d’une vie, d’état, de costume, vers le haut ou le bas, mais moins facilement de constitution.

Paul Féval, viu par un caricaturistes

Je relis les romans de Paul Féval, l’auteur du Bossu. Ce feuilletoniste de la fin du XIXe siècle écrivait à la mitraillette pour gagner sa vie. Pourtant son écriture a des finesse et un souffle qui, associés à son sens de l’observation, font de mille pages de lecture un plaisir constant.

Dans l’un d’eux, Coeur d’acier (les titres sont faits pour vendre, il savait cela), Féval se fait le témoin des changements de la société. “C’est le siècle des transformations” écrit-il, ce que ne nieraient pas aujourd’hui les nouveaux milliardaires d’Asie-Pacifique, qui viennent de dépasser en nombre ceux d’Europe. Mais il est aussi le commentateur goguenard des changements d’apparence, ce qui nous ramène à l’énigme de Zombie Boy.

“Etes-vous de ceux qui croient encore aux physionomies professionnelles?” demande-t-il à son lecteur.

“Chez nous en France, plus que partout ailleurs la physionomie des états est morte. (..) Les notaires ont résisté longtemps, plus longtemps que les avocats, plus longtemps que les avoués; ils n’ont cédé qu’à la terreur d’êre pris pour des greffiers. Je connais un homme superbe et pareil à un dieu de la fable, sa prestance étonne les populations, sa chevelure éclate comme la neige: vous diriez au bas mot un druide en habit noir. C’est un notaire.

Je connais un homme plus dur que le fer, aiguisé, affilé, capable d’user la pierre du rémouleur, vivant scalpel qui saigne, ampute et taille dans l’intérêt des familles avec tout le sang froid de Dupuytren ou de Jobert. Ce couteau est également un notaire.

Je connais un troisème notaire doux, onctueux et même gluant qui a le parfum d’un sac de bonbons endommagé par l’humidité; un quatrième notaire, naïf et bon jusqu’à croire à son “collègue”; un cinquième, au contraire, sceptique, ravagé, veuf de ses illusions, un libre penseur du notariat, doutant de sa cravatte et blasphémant la déesse Authenticité.”

Si les notaires changent leur apparence, à qui se fier ? Zombie Boy ne peut plus plus changer la sienne; ce qui ne prouve rien.

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