Écrire, faire lire

Alain-Marie Carron
6 min readNov 15, 2018

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Vous écrivez, mais le lecteur ne vous lit pas. Vous avez perdu votre temps. Cela arrive tous les jours, aux meilleurs d’entre nous. Ce n’est pas surprenant, écrire est une mission triplement difficile : il faut être lu, compris et suivi. Si vous n’êtes pas suivi par le lecteur, vous êtes ramené à la case départ.

Voici quelques idées pour réussir cette mission (presque) impossible. Elles concernent principalement l’écriture dans un contexte professionnel… mais pas seulement.

Ce que pense votre lecteur. Je sors d’une conversation avec votre lecteur. J’ai bien vu qu’il avait une idée très claire concernant votre texte. Je vais vous faire gagner du temps en vous résumant ce qu’il m’a dit : « ce qu’il (elle) écrit ne m’intéresse pas. »

Ça commence mal, j’en conviens. À priori, votre lecteur n’a pas envie de vous lire. Mais posez-vous la question : est-ce que vous avez toujours envie de lire les textes que l’on dépose sur votre bureau?

Voici une liste de bonnes mauvaises excuses. Cochez celles auxquelles vous avez pensé au moins une fois. Vous pouvez en ajouter d’autres; la liste n’est pas exhaustive .

  • Lire c’est fatiguant
  • Si c’est compliqué j’arrête
  • Vous êtes qui, vous, d’abord ?
  • Je ne comprends pas ce que je ne connais pas
  • Je ne m’intéresse pas à ce que je ne comprends pas
  • J’ai d’autres choses en tête, d’autres urgences, d’autres f… lectures à faire…

Il va falloir vous battre. Comme désormais vous aurez les yeux ouverts ce sera plus facile.

Votre lecteur est une balance. Votre texte arrive sous les yeux du lecteur. Pendant une seconde ou deux, quelque chose s’agite dans son cerveau reptilien. Il soupèse ce que représentera la lecture de votre texte : plus d’effort que de plaisir, ou l’inverse? Ne sous-estimez pas l’animal humain; les ennuis il les voit venir de loin. Essayez de vous mettre dans la tête de votre lecteur — après tout, c’est pour lui que vous écrivez — et tachez de rester du bon côté de la balance.

L’oeil juge avant le cerveau. Dans la série des nouvelles que vous n’aviez pas forcément envie d’entendre, celle-ci est l’une des plus importantes. Imaginons que vous ayez de la chance, le lecteur n’a pas jeté votre texte à la corbeille. Au contraire, il le prend en main et le regarde…. Misère. Il n’a pas encore lu un mot, et pourtant son œil a déjà une opinion sur ce texte. Les éléments visuels sont perçus et « appréciés » avant même que la lecture commence. En une seconde l’oeil dicte au cerveau une « première impression », bonne ou mauvaise. À notre époque, où l’image domine, le visuel a toujours raison.

Pour vos textes, le visuel peut-être un tremplin ou une guillotine. Soyez donc extrêmement attentif à ce phénomène de « pré-lecture ». Ne pensez pas seulement aux images ou à la mise en page, pensez-aussi à la disposition du texte, à l’espace entre les paragraphes. Vous devez gagner cette bataille si vous voulez être lu. Rappelez-vous le proverbe Russe : « On accueille quelqu’un d’après sa mise, on le reconduit d’après son esprit ».

L’ego du lecteur. Les auteurs ont un ego surdimensionné. Ils se regardent écrire, s’auto- congratulent pour une bonne formule, un paragraphe réussi, une page à peu près lisible.

Mais ce n’est rien à côté du lecteur. Le lecteur a trois centres d’intérêt : lui, lui et lui (ou elle). Il veut savoir ce qu’il a à gagner à lire votre texte. Ce que les anglophones expriment en disant « What’s in it for me ? », qu’est-ce qu’il y a pour moi là-dedans ? Rassurez-le sur ce point le plus rapidement possible; montrez-lui que vous vous occupez de ses intérêts.

Pour autant, cela ne suffira pas forcément pour qu’il fasse l’effort de vous lire. La Raison n’est pas un moteur. Vous ne mettrez pas votre lecteur en marche avec un raisonnement. Heureusement pour vous, il n’y a pas que du calcul chez votre lecteur. Quand il vous dit « parlez-moi de moi », il pense aussi : « prenez-moi par les sentiments ». Surprise, le lecteur est un être humain! Comme nous il est plus près de ses sentiments que de ses idées. Voilà la passerelle entre vous et ce lecteur si difficile à approcher. Parlez à ses émotions ; la raison suivra. Ce rapport subjectif que vous parvenez à nouer avec lui est l’impulsion qui l’amènera à vous lire et, peut-être, à bouger dans le sens que vous souhaitez.

Changer de logique. La conclusion s’impose d’elle-même. Écrire dans sa tour d’ivoire, barboter dans son bocal, c’est du soliloque plus que de la communication. En écrivant vous espérez que le lecteur viendra vers vous, comprendra et appréciera vos idées. Pour y parvenir, il faut partir, autant que possible, de ses préoccupations, de ses émotions, de son « logiciel », comme on dit aujourd’hui.

Se méfier de l’écart. Ne partez pas de trop loin, de trop « différent » : le lecteur doit faire un effort pour se sortir de sa routine mentale et aller vers les idées que vous lui proposez. Il comprend facilement ce qui est compatible avec son paysage mental; plus difficilement ce qui comporte une forte dose d’étrangeté par rapport à ce qu’il connaît. Le grand médecin et psychologue Jean Piaget le notait ainsi : « Si j’avais une idée vraiment nouvelle je ne la comprendrais pas ». Communiquer, c’est établir un pont entre le connu du lecteur et cet inconnu dont votre texte est porteur, qu’il pourra comprendre à partir de ce qu’il sait. Partez de sa logique, amenez le lecteur vers la votre; mais ne tirez pas trop fort, le fil peut se rompre.

Écrire court, simple et fort. Ce n’est pas Proust qui vous lit, mais un cadre stressé qui veut se « débarrasser » de ce qu’il perçoit comme un pensum. Ce n’est pas un poète ou un artiste, mais un fonctionnaire ou un comptable. Traduisez par : capacité d’attention minime, vocabulaire limitée, imagination formatée. Ne sous-estimez personne : le lecteur est intelligent et sensible, il sait reconnaitre un bon texte quand il en lit un. Il faut donc trouver la « petite musique » qui convient, mettre de la finesse dans la simplicité. Sans oublier de de taper fort. Le lecteur aime les coups : les coups de théâtre et les coups au cœur !

Si vous plaidez, c’est pour gagner. Dans un contexte professionnel, l’écriture est argumentative, l’auteur un avocat qui veut gagner sa cause. Vous n’écrivez pas pour un documentaire de la BBC sur la floraison de la lavande en basse Provence. Vous avez une idée, un projet, un service, à vendre. Ce qui vous a poussé à écrire, défendez-le par tous les moyens : la raison, la séduction, l’humour, les exemples, etc…Notre époque baille devant les débonnaires respectueux. Votre prose en bénéficiera; on écrit mieux quand on quelque chose à prouver. Et souvenez-vous de ce que disait Voltaire : « Tous les genres sont bons, sauf le genre ennuyeux ».

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